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LORD LYLLIAN

hérédité. Savez-vous qui m’a formé ainsi ? C’est vous, c’est le monde, c’est la mufflerie contemporaine. Ce sont ceux qui — je vous l’évoquais tout à l’heure — trouvant en moi la proie facile, ont sauté sur un enfant, sur son nom, sur son argent, sur son corps, sur son âme. Ils lui disaient : regarde ! Et d’un coup lui montraient toutes les horreurs humaines et surhumaines. Ils lui disaient : agis ! et leur geste provoquant fut pour lui un geste de débauche, de honte et de remords, remords bien vite étouffé d’ailleurs. Ils lui disaient : aime ! et leur voix se mêlait au bruit gracieux des mensonges, au bruit sourd des lâchetés, au bruit strident des crimes.

Et puis, ils lui diront : meurs !… et, ajouta Lyllian d’un air mélancolique, ils diront vrai pour la première fois. Grâce aux hommes qui sont mes frères, j’ai appris la vie, la triste vie dans ce qu’elle a de plus triste. Aucune illusion ne m’est restée. Je suis un vieillard dans le corps d’un enfant, et derrière ce visage que d’aucuns regardent avec des airs d’amour, derrière ce visage gît un cadavre, un cadavre pareil à celui de ces anonymes qu’on retrouve au matin dans les quartiers mal famés — poignardés le long d’un mur.

Plus d’espérance, plus de joie, plus de santé… je parle de la santé divine, celle de l’esprit et celle du cœur. Tout est gâché, tout est perdu, tout est fini. L’on m’accuse enfin d’avoir des vices : je n’ai que les vices de mes accusateurs !

— Mais je vous croyais, interrompit Chignon avec un ton supérieur, je vous croyais comme moi un dilettante du mal… c’est si beau le péché : Des caresses, des morsures, des blessures, des maîtresses…

— Oui, je sais, du sang, de la volupté et de la mort.