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LORD LYLLIAN

Vraiment, il y a des cas où l’homme a l’air d’une oie. Jamais ce n’était arrivé au paroxysme atteint par M. d’Herserange. Lui, M. d’Herserange, en caleçon au moment où — quelle horreur — il allait accomplir sa gymnastique avec une femme ! Lui, pincé par ce diable de garçon qu’il adorait et qu’il craignait. Tout cela M. d’Herserange l’avouait par sa mine piteuse et sa pose de coq vaincu. Il avait croisé les mains sur le pan de sa chemise et semblait la statue tragique de la Fatalité.

La femme, affolée, s’était caché la tête sous les draps. Lord Lyllian, justicier railleur, gardait le silence.

— Voyons, mon petit ami, balbutia d’Herserange…

— Oui dà, mon beau seigneur, cela vous ennuie de baisser le masque ? Je comprends. Un homme si respectable et si considéré. Vous n’aimez pas qu’on voit vos défaillances, vos petites lâchetés, vos bêtises, car c’est une bêtise, j’étais là. Dieu sait que vous étiez prévenu. Vous faites de si beaux serments, vous dites de si jolies phrases ! Il faut vous croire : je vous ai vu. Sous prétexte d’amusette, vous avez consenti, n’est-ce pas, à cajoler cette fille, et puis, de fil en aiguille, votre aiguille a voulu piquer. Et si je n’étais pas venu à la rescousse, vous l’enfiliez ! Ah, dragon de vertu, cénobite de chasteté, chevalier de mortification, vous aimez donc les femmes ! Mais vous ne vous êtes jamais regardé.

Mirez-vous dans cette glace, je vous prie, voyez ce front épais et fuyant, ces naseaux de buffle et de muffle, cette bouche couturée de lèvres grasses, comme d’un rond de cuir. Eh bien, je vous donne ma parole qu’en fait de femmes vous n’aurez pas celle-ci, parce qu’elle est bien trop jolie, bien trop fine et bien trop délicate pour un vilain gros dindon comme vous. Filez, Monsieur…