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LORD LYLLIAN

sur les barques. J’avais laissé ma porte ouverte, vous êtes entré.

— Et je vous aime ! minauda d’Herserange. Je suis entré comme autrefois Roméo chez Juliette.

— Sans balcon… pensait Lyllian.

— Comme Dante chez Béatrice, comme Pétrarque chez Laure… comme, dans les légendes, Amadis chez Éliane.

— Comme un miché chez une grue, continuait le petit Lord en aparté.

— Savez-vous que jamais Venise ne m’a paru plus belle qu’avec votre sourire…

La fillette s’était rapprochée de son amoureux de hasard, quémandant une caresse, offrant ses lèvres. Mais le Diplomate, plus réservé que jamais, continuait son discours exalté…

— Je donnerais le monde pour un baiser de vous…

— Faut-il qu’il pense à moi, murmura Renold pâmé derrière son paravent.

Mais voici que subitement — était-ce de jouer avec le feu, était-ce illusion ou stratagème — M. d’Herserange se rapprocha de la Vénitienne dont le corps tiède et souple palpitait contre lui.

— Elle m’a rudement oublié, dit Lyllian avec dépit.

D’Herserange, alors, vint à la fille, prit lentement ses poignets blancs, malgré les soleils et les misères, les jeûnes et les hâles, et les baisa enfin avec une satisfaction manifeste. Ses gros yeux brillants devenaient hagards de désir. Que lui importait son dégoût de la femme, ses résistances et ses vices ? Il y avait là de la chair fraîche, de la chair de jouvencelle qui lui rappellerait celle du jeune Anglais.

Cependant la chanteuse, cédait aux caresses, et dans