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MESSES NOIRES

du sud, les astres scintillaient avec cet éclat étrange qui fait croire les étoiles tout près et le ciel très loin. Les rayons lunaires inondaient les vieilles Procuraties aux palais dentelés comme des mitres, la basilique dorée ainsi qu’une mosquée et peinte comme une icône, et sauf l’ombre bleue du campanile et des bibliothèques, les dalles de marbre de la place luisaient pareilles à une allée de tombeaux.

Il parut à lord Lyllian respirer tout à coup un air plus sain, une atmosphère meilleure à l’âme et plus douce au cœur. Ainsi reconnaît-on parfois la bienfaisante pureté de la nature en face de la tristesse vicieuse des hommes. Et Lyllian, à les écouter tous, bavant avec raffinement sur une femme morte, avait ressenti la tristesse de ces vices. Mais l’illusion de lord Lyllian fut de courte durée. Le prince Skotieff s’approchait de lui avec un petit pas plus sautillant que d’habitude…

— Ah, my lord, bredouillait-il, subitement interloqué… Cette histoire vous a-t-elle plu ? Je l’ai dite pour vous. Pendant que je parlais, je regardais vos yeux, vos beaux yeux d’innocente perversité… — Il s’enhardissait : — J’ai aimé une femme jusqu’à la folie.

— La duchesse d’Halbstein ?

— Oh, qui peut vous faire croire…

— Vous en disiez tant d’infamies.

— Non, ce n’est pas elle, pourtant… Je disais que cette femme je l’aimais jusqu’à la folie… n’est-ce pas… eh bien… eh bien… je lui donnais des bijoux, des bijoux… tant qu’elle voulait… oh, elle vous ressemblait !…

— Elle est morte aussi ? interrogeait Lyllian railleur…

— Non, elle est vieille… Elle vous ressemblait. Tout à l’heure, en regardant vos yeux, je retrouvais les siens.