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MESSES NOIRES

un placard, défait, livide, l’air d’un phœtus tragique, les yeux secs, le poing tendu.

— Vous placez vos cinquièmes actes ; bravo pour l’amateur ! Reprenez donc de ce whisky, il est très bon…

— Naturellement, scène à tout casser, le cocher s’enfuit. La Duchesse, à genoux, implore son pardon, embrasse misérablement la robe de la vieille.

— Dites donc les robes… comme dans Barbe-bleue.

— Et le mari ne fait grâce du divorce que pour l’enfant, du scandale que pour le nom, modus-cocuendi.

— Vous oubliez le chloroforme, Skotieff.

— J’y arrive. Après ce que je vous ai dessiné du Duc, pensez-vous qu’il soit suffisamment vengé ? Jamais de la vie. Ce qui l’aurait vengé c’était le divorce, et il n’y tenait pas. Le divorce seul éloignait de lui cette femme qu’il détestait et qui l’avait souillé… Le divorce seul ou la mort… Or, le divorce est défendu par l’Église…

Un silence se faisait autour de l’extraordinaire conteur qu’était le Prince… on écoutait. Il reprit, en caressant ses bagues :

— Pour un habile homme — et toutes les vengeances en créent — il suffit de choisir.

— Quoi ? La façon de se venger vaut mieux que ce qu’on venge ?…

— Non, la façon de supprimer : asphyxie, poison, maladies contagieuses qu’on inocule.

— Ah bah !

— Mais, oui, comme le vaccin. De tout cela le poison parut préférable au Duc, parce qu’en même temps il allonge l’agonie et la rend plus cruelle. Il aurait pu choisir un poison lent, presque impossible à découvrir