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LORD LYLLIAN

— Alors, voulez-vous me faire une grâce ?…

— Dépêchez-vous, je vais m’habiller.

— Laissez-moi… laissez-moi vous embrasser !…

— Mais… mais… enfin, allez-y !

Il lui tendit machinalement sa chair tiède, son cou adorable et fin. Et d’Herserange, grisé, qui avait avancé de respectueuses et timides lèvres, l’embrassait comme un fou.

— Allons ! assez, n’est-ce pas, mon brave homme !

— Merci, mon cher petit aimé, mon adoré, mon unique éphèbe ! Oh, votre peau qui sent la fraise, les bois, le printemps, le foin en fleurs !

— C’est entendu : la peau, sans phrase. Quant au foin, allez en manger bien vite et laissez-moi seul. À tout à l’heure, grave diplomate. Et, d’un air détaché : Si je vous ai plu, dites-le donc à Skotieff. Il vous félicitera, le jeune prince…

 

Enfin libre ! la nuit est tout à fait venue et dans la chambre sombre où seul un grand miroir luit, Lyllian se sent subitement pris d’une nostalgie intense, d’un grand besoin d’amour. Qu’a-t-il rencontré jusqu’ici ? Des égoïstes épris de sa seule beauté, de sa seule jeunesse et qui l’ont façonnée à leur image, lui donnent leurs vices et leurs désirs, leurs remords et leurs rancœurs !

Misère ! Oh, rencontrer celui ou celle qui viendra sans arrière-pensée et sans vilains calculs, avec un geste simple, avec un seul sourire… La vie n’est pas seulement une souffrance, voyons ! Elle peut être une joie ! Quand on a tout, quand il ne vous manque rien pour réaliser son bonheur et même celui des autres, il est impossible que