le vieil Apoxyomène regardait le groupe charmant. Scopas
n’avait plus d’ailleurs conservé son air heureux d’autrefois. Très
frappé par la fuite de Milès, lorsque l’éphèbe était parti, voici
deux mois, le jour même des vendanges, il n’avait jamais oublié
les raisons de cet exode, malgré son pardon. Il tombait de trop
haut dans ses illusions pour jeter un voile sur le passé. Jamais
Milès ne l’avait aimé, pour lui faire tant de peine. En même
temps, il consentait — mais à contre-cœur — aux visites de
l’adolescent à Ictinus, craignant que le jeune artiste ne lui
détruisît complètement son bonheur. Il s’était rassuré ensuite,
en toute franchise. Après avoir épié les allées et venues de son
favori, il ne pouvait que crier au mystère. Car si Milès, en effet,
s’était en quelque sorte offert à Briséis le premier soir — et
Scopas l’ignorait — l’éphèbe revenait les autres fois plus mélancolique,
plus silencieux que jamais. Les efforts d’Ictinus pour
l’égayer, pour le sortir de sa torpeur ne réussissaient point. Le
bel adolescent demeurait un modèle, mais avec déjà l’immatérialité
et la froideur des marbres. Aussi bien le peintre fut-il
réduit à surprendre en vive esquisse deux ou trois minutes
heureuses pendant lesquelles Milès se rassérénait. Les fresques,
presque terminées, illuminaient à présent le temple de toute
leur gloire. Mais l’amour ni le sourire n’en étaient nés. Et quand,
d’aventure, Scopas survenait à l’improviste, il trouvait Ictinus
halluciné sur son œuvre mais séparé de Milès par cette indifférence
de roi en exil. L’éphèbe, d’autre côté, ne se souvenait que
peu des peintures dont il inspirait l’auteur. C’est à peine si deux
ou trois fois, en présence de Scopas, il avait jeté un regard —
singulier — sur ce reflet de lui-même.
Dans l’atrium de Scopas où bruissait la fontaine, Milès nonchalamment se regardait dans un miroir de cuivre…