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LE BAISER DE NARCISSE

— Si je te disais pourtant que je suis là dans l’ombre, murmura le peintre, et qu’un signe de ta main suffit à m’agenouiller, ne me croirais-tu point ton ami ?

— Non, Ictinus, car j’ai vu luire dans tes yeux la passion que tu ne veux pas dire, l’aveu que tu ne m’as point fait… Qui sait même, ajouta-t-il, rêveur, si, déçu dans ton espoir, tu n’iras pas un jour vers Scopas lui dire ce dont tu fus témoin entre moi et Briséis ?

— Je savais que tu ne m’aimais pas ! s’écria le peintre, j’ignorais que tu me méprises au point de supposer une pareille chose de moi. Mais, murmura-t-il découragé, à qui donc, alors, réserves-tu le trésor de ton cœur juvénile, de ta bouche aiguë et glacée ? N’as-tu jamais évoqué l’Elohim, dont l’étreinte ne trouve en toi qu’une ombre ? N’est-ce pas ce soir que Dyonisos couronne le vœu des amants et n’as-tu point rencontré par les routes bleues qui sentent le sel et la mer, le cortège des bacchantes ou la troupe capricieuse des faunes, cyniques sous leurs guirlandes de lierre ?

— Il n’y a personne sur les chemins, personne au clair de lune… », répondit l’éphèbe, et ses prunelles se voilèrent comme un cristal sous la buée… « Il n’y a personne qui passe ou qui vienne, dans le silence de mon exil. Mais qu’il paraisse, celui-là que j’attends, ou qu’elle s’éveille, celle-ci dont je songe, et mon âme entière tremblera au bord de ses cils ! »