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LE BAISER DE NARCISSE


lorsque Briséis évoque Byblos : Alors je me rappelle et je pleure… Et c’est la seule joie de ma vie !

— Tu n’es donc pas heureux avec Scopas ? L’Apoxyomène est riche, pourtant… Il est bon… Tu devrais être fier de son génie… Pourquoi le tromper, et que va-t-il penser de ta fuite. Ne t’accorde-t-il pas tous tes caprices ?

— M’a-t-il jamais accordé celui d’être libre et de partir, continua l’éphèbe en soupirant. Et toi, ne sais-tu point que je vis en prison ? Les barreaux sont d’or pur, les larmes se mêlent aux perles de mes colliers… Mais que ne donnerais-je pour les guenilles d’un pâtre, qui chante, à lui seul, son hymne dans le soir !

— Cependant la tendresse dont on t’entoure, ne la sens-tu point ?

— Elle me fait horreur ! Oui, répéta Milès en s’animant peu à peu, elle me fait horreur, cette tendresse, car ceux qui vivent autour de moi ne me donnent en échange de ma jeunesse que le vice, que le dégoût et que l’amertume de leur cœur, que leur égoïsme. Si je te racontais mon passé, si je te disais tout cela, tout cela… peut-être comprendrais-tu ma révolte intérieure. Mais nous avons besoin de croire, d’être gais, fébriles et enthousiastes, nous autres qui n’avons pas vingt ans ! Écoute : lorsque Scopas m’a emmené comme un butin loin de mon ciel et de ma patrie, d’aucuns, touchés, me parlèrent de la civilisation splendide d’Athènes et se réjouirent presque de me voir parmi eux. Parmi eux… oui ! mais comme un esclave. Alors, après les humiliations, les coups, les marchandages, je me suis cru sauvé quand Scopas m’a voulu. Hélas ! ses caresses étaient pires que des coups — comme les baisers de Briséis sont pires que les chaînes. On peut relever la tête quand le fer vous blesse. Mais l’or qui vous étreint ?