Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
LE BAISER DE NARCISSE


Ganymède, il ne consentait à s’approcher des dieux qu’après un essor, en rêve, jusqu’au ciel. Malgré son acharnement et ses labeurs, l’artiste ne put pas retrouver ce je ne sais quoi d’idéalement tendre et triste dont les lèvres du gamin s’étaient épanouies. Le jour se passa en recherches vaines, en rancunes mal dissimulées, en efforts interrompus par l’aigre sautillement des grelots bachiques, et par la mélancolique voix des flûtes de roseau.

Quant à Briséis, elle n’était pas revenue…

Le soir arriva, avec son habituelle frénésie du crépuscule. Maintenant, à travers la campagne, les hordes déchaînées des esclaves ivres, des ilotes abrutis de boissons, chargeaient, cheveux au vent, langue pendante et gestes fous, se culbutant dans la poussière, ou sur les foins, avec des femelles. Un couple avait enjambé la barrière et vint se colleter presque sous les yeux d’Ictinus. Les feuilles de laurier s’empourpraient des derniers rayons de soleil, et la terre semblait rouge, elle aussi. L’homme avait renversé sa proie par terre et la traquait comme on traque une bête. Des lueurs vibraient au fond de ses prunelles. La victime hurlait en demandant grâce… ou suppliait pour de nouvelles blessures. Mais il se jeta dessus, jusqu’à ce qu’elle semblât morte. Puis il s’en alla, cauteleux, haletant, épuisé. Dans les trépieds de bronze, autour du temple vide, les charbons ardents fumaient recouverts de myrrhe… Sur les trépieds était inscrit le nom d’Éros…

Tout à coup, un bruit fit tressaillir Ictinus. Des pas. Peut-être le gardien Plinius revenu de la fête ? Peut-être des intrus comme tout à l’heure ? Des pas encore… L’Hypogète se préparait déjà à sortir, à voir, à chasser au besoin les importuns (ne viendraient-ils pas le troubler de leurs hoquets d’ivrognes), lorsqu’il aperçut