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LE BAISER DE NARCISSE


magnifiques. Seule l’expression manquait encore au visage, le sourire, ce sourire extasié, surhumain qui, sur la bouche de Ganymède doit paraître défier la mort.

Or, Ictinus, acharné au travail, épiait quand même ce sourire Il interrogea Milès, le priant, le suppliant, lui qui avait bien voulu poser, de bien vouloir sourire. Peine perdue. L’éphèbe gardait le même air mélancolique dont toujours ses prunelles s’attristaient. Ictinus, alors, crut pouvoir l’imaginer, transformer par ses moyens propres le visage immobile qui se refusait à la joie.

L’Apoxyomène, fiévreux lui aussi, avait fait apporter, en réveillant les esclaves, de nouvelles lumières, des fruits et du vin. Un souper improvisé réunissait le peintre, l’architecte, l’éphèbe et la femme inconnue qui, maintenant, parlait à Milès, à voix douce et contenue, en dialecte d’Asie…

 

Vingt fois Ictinus, se levant de la table, esquissa, puis effaça le sourire immatériel. Son bras s’alourdissait et sa vision devenait moins nette.

Alors vaincu, désespéré, il renonça, maudissant en lui-même ce bel enfant implacable.

Les torches finissaient de brûler, jetant sur le proscénium du sanctuaire des lueurs de sacrifices. Pendant que Milès, énigmatique, remettait ses vêtements sur un signe de Scopas, l’architecte et Ictinus sortirent pour voir la nuit…

Au loin, Athènes luisait doucement, nimbée du ciel calme où les étoiles tressaillaient. Par un pareil clair de lune, Daphnis avait dû pleurer de tendres larmes…

Barbouillé comme Bacchus, joyeux comme Pan, Scopas respirait bruyamment…