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LE BAISER DE NARCISSE

— Et que dirais-tu de ce modèle-ci ? insinuait l’architecte avec un sourire ; je l’ai amené pour qu’il voie tes talents. »

Et de la main, il entraînait Milès en pleine lumière.

« Ah ! maître, si je l’avais, dit Ictinus après un assez long silence observateur, mes fresques vivraient, à moins que je ne meure !… Quels merveilleux regards !… Tout ce que j’espérais rendre, sans y avoir réussi, se concentre dans ces yeux-là : le défi, l’enivrement, la victoire et l’extase… Il est d’Asie, continuait Ictinus. À son teint, à ses cheveux, on reconnaît cela…

— Milès vient de Byblos, murmurait Scopas, ravi dans son for intérieur de cette admiration contenue.

— Curieuse destinée ! La femme aussi a visité ces pays-là. Elle me le disait tout à l’heure, avant que vous n’arriviez. Originale, d’ailleurs. Il lui a plu de découvrir son corps, mais croirais-tu, Scopas, qu’en posant elle n’a jamais ôté le voile qui lui cache le visage ?… Cet éphèbe est beau comme la lumière !… concluait-il.

— Respecte-le, par Éros ! sinon je te voue aux Érinnyes, répondait, très gai, l’architecte. Quant à la pose qu’il pourrait t’accorder, demande-la lui. Toi, j’insiste ; toi-même. L’enfant est versatile. Jamais il ne livre sa pensée. »

Il dit et, souriant, murmura quelques mots à Milès. Alors le petit affranchi, sans même attendre la prière d’Ictinus, sans aussi qu’un pli de son visage manifestât la moindre crainte ou le moindre plaisir, fit descendre la femme de la stèle, puis, prenant sa place, se dévêtit lentement dans la pénombre dorée.

Assez maître de lui pour cacher son angoisse, Ictinus attendait, regardant avec délices les blancs vêtements légers qui tombaient aux pieds de Milès comme des ailes lasses…

Lorsqu’il ne fut plus couvert que d’une ceinture de toile, l’adolescent interrogea des yeux l’Apoxyomène, qui lui souriait