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LE BAISER DE NARCISSE


de les attendre, l’éphèbe et lui, aux portes du bois sacré. Comme la lune se levait, énorme et jaune, derrière les montagnes, il entra, seulement accompagné de Milès, dans l’enceinte des travaux, marchant sous des lauriers en fleurs. Leurs branches ciselées se détachaient sur la voûte immatérielle de la nuit, cachant capricieusement les planètes. Parfois un souffle de brise passait, mélancolique et tiède. Les buissons caressés avaient un bruit de mousseline ou de perles, évoquant comme un murmure de coryphées. Scopas, tour à tour inquiet et joyeux, atteignit bientôt les premiers portiques. Milès le suivait. Un instant, le vieil artiste tourna la tête, croyant que l’enfant lui parlait. Ce n’était que le vent dans les feuilles…

Alors, les paroles d’Albas lui revinrent en mémoire, et l’Apoxyomène soupira.

Cependant la colonnade, surgie de l’ombre, rassérénait ses pensées. L’âme, que si peu d’humains avaient comprise, palpitait dans les marbres insensibles. Qu’importait l’amour des mortels ? N’avait-il pas là une sorte de paternité mille fois plus noble et mille fois plus durable ?

Lorsqu’il apparut, imprévu, devant la maison de Plinius, le Romain qui surveillait les chantiers, il fut accueilli avec l’empressement un peu étonné dû à un maître que l’on n’attendait pas. Les cratères de vin furent apportés et, la vendange étant proche, Scopas mangea avec Milès le raisin poissé et frais. La collation terminée, il se leva, prétextant une inspection à faire, donna congé à Plinius et aux esclaves, satisfait de pouvoir montrer seul et pour la première fois son œuvre à Milès, en même temps que les fresques d’Ictinus. Ainsi qu’il en avait eu la vague certitude dès son arrivée, l’endroit semblait apaisé, endormi. La sérénité de la nuit d’orient enveloppait tout cela… Soudain, Scopas