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LE BAISER DE NARCISSE


avec ceux de la petite Romaine, tellement tristes et implorants que, tout de suite, la courtisane, d’abord prête à d’aigres réponses, se tut et de pitié lui sourit.

De pitié et d’admiration ; maintenant une idée folle lui traversait l’esprit… Briséis s’approcha du licteur qui surveillait les captifs, établit le prix auquel on pourrait céder Milès, puis, rapide comme la libellule, se dirigea vers l’ostérium d’où fusaient, lourdes et enrouées, des chansons.

Elle en ressortit bientôt, tirant comme un paquet le vieux Scopas, qui pérorait plus que jamais.

« Je n’ai pas pu te trouver Zeus, raillait-elle, mais voici Endymion ! »

Scopas, ivre comme un augure, voulait à toute force réveiller son compagnon le philosophe, lui criant que des héros l’attendaient…

« Pas besoin de personne, répliqua Briséis arcboutée pour le soutenir. Regarde ce petit et, s’il te plaît, achète-le ! »

Scopas, malgré que son estomac fût l’outre de Bacchus, eut la force et l’idée d’examiner Milès à travers un gros cristal monté en loupe.

« Il a un air bien dominateur pour un esclave…

— Mais il est bien beau pour un mortel.

— Soit ! Ephèbe, veux-tu venir à Athènes ? Si tu t’engages à me bien servir, par les dieux, je t’élèverai un temple à toi seul, car je suis architecte, et ma mauvaise réputation est inattaquable : Je suis Scopas l’Apoxyomène ! »

Milès ne répondait pas.

Alors, sur les instances de la courtisane qui derechef souriait, l’homme fit un signe à l’intendant, compta les drachmes d’or au scribe ahuri ; puis, indiquant sa litière à Milès, il lui dit :