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LE BAISER DE NARCISSE

Un hoquet interrompait Scopas. Alors d’une main lissant sa barbe que le festin avait rendue douteuse, de l’autre rajustant sa tunique sur ses mollets épilés, il entrait, sans plus répondre, dans la taverne et reprenait fièrement :

— Nona cherubinum pingit potatio nasum ;
Si dicies bibero, cornua fronte gero !

Un éclat de rire ponctuait le dernier vers. D’un joli geste comme pour braver l’ivrogne, la petite danseuse embrassait un esclave. Puis redevenue sérieuse et enjouée à la fois, elle commença son inspection. À mesure qu’elle approchait d’eux, les affranchis et les marchands la harcelaient de questions et de louanges.

« À toi qui es belle comme Cypris, il te faudrait cette fille de Tharse pour lisser ta chevelure…

— Non, prends donc cette Étrusque pour garder ton seuil contre les insolents et les mauvais payeurs…

— Cet éphèbe de Sparte !

— Une baigneuse d’Actium ?

— À mon secours, silence de Diogène ! » riait Briséis en montrant ses dents de louve, mignonnes, pointues et fraîches…

Ce fut ainsi qu’elle arriva presque en face de Milès. Milès avait assisté muet et impassible à toutes ces scènes. Il gardait son expression nostalgique et voluptueuse d’abandonné.

Sans l’avoir vu, elle allait le dépasser et regagner sa litière, quand une vieille femme dépoitraillée, qui la regardait d’un air envieux, lui jeta, sardonique :

« Prends-le donc, celui-là, pour être ton amant ! »

À ce cri Milès leva les yeux et ses regards se rencontrèrent