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LE BAISER DE NARCISSE

— Alors, par Zeus ! touches-y toi-même avant les autres ! C’est tout ce qui pourra lui arriver de mieux, car il est ici. Le voilà, au fond de la salle, maigri, hâve et changé. Regarde-le. »

Effaré, le géant se retournait, se frottait les paupières, croyait à une illusion, puis bondit, et jetant l’escabeau loin de lui :

« Milès, mon petit maître ! » rugit-il d’une voix de tonnerre dans l’ostérium en révolution.

À son cri, un autre cri répondait : « Séir ! Séir ! »

Et ils s’étreignaient, stupéfaits encore.

« Mon père ?… Séir ! Que fait Elul ? Et toi, comment es-tu ici ? pour vendre l’huile sans doute ?… Ah ! si tu savais comme j’ai souffert loin de Byblos ! Le temple où l’on m’a mis était une prison. Seul toujours ! De la tristesse, de la nostalgie. Je voulais tant revenir ! Je me suis sauvé… Alors, ajouta Milès qui venait de se confesser d’un trait, elle m’a accompagné, Séir ! Elle a été pour moi comme une sœur ! Nous avons fait la route à pied, d’Attalée ici. Ici, je pensais trouver une barque remontant la rivière qui nous transporterait près d’Elul ?

— Près d’Elul ? interrogea Séir avec une expression d’ivrogne, mais si bizarre, si triste et si grotesque à la fois que, malgré sa faim, Milès éclata de rire.

— Séir, tu profites trop de tes voyages ! Tu as pris du vin nouveau, Séir. Hein ? si je disais cela à mon père ? »

Mais voici que, brusquement, Séir éclatait en sanglots profonds, déchirants, qui impressionnaient bien plus encore, chez ce géant.

« Mon pauvre enfant… Milès, mon petit faune, Milès, mon petit roi !…

— Quoi ! » interrogeait Milès anxieux.

Alors Séir se calma, se tut, regarda l’adolescent et lui dit :