Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
LE BAISER DE NARCISSE

— Hé bien !… » balbutia la mendiante en respirant à peine. L’adolescent tourna vers elle des yeux d’épouvante.

« Il… s’est tué, râla-t-il…

— Tué ? » s’exclama la petite, terrassée, elle aussi.

Il se tut. Les fleurs sauvages répandaient autour d’eux une odeur d’anis. Il faisait si calme qu’on aurait cru entendre trembler les étoiles.

« Alors ? fit-elle…

— Alors, je crois, murmura-t-il dans un pénible effort, qu’il nous avait vus, tu sais, quand nous nous sommes embrassés.

— Embrassés !… ah, oui ! fit-elle, défaillante au souvenir ; mais quel mal lui avons-nous donc fait ?… »

Les cigales crissaient, les phalènes voletaient. On aurait dit que la terre chante.

« Il m’aimait ! continua Milès. J’allais descendre le parvis des Cnidiens. Subitement il s’est dressé devant moi, aux flammes des torches. Je n’ai vu que sa bouche crispée et son couteau de fer. Il a crié, et son cri, je l’ai encore là ! dans l’oreille ! »

Un bruit lointain les interrompit. Milès et la mendiante s’aplatirent sur les herbes. Une minute passa, d’angoisse atroce, pendant laquelle ils crurent que l’on s’approchait et qu’on allait les trouver… Mais non, c’était comme une foule qui s’écoule là-bas… là-bas…

Alors, reprenant courage, Milès se dressa, fouillant la plaine. Presque à l’endroit où elle se confond avec le ciel, une longue file obscure serpentait, formée, semblait-il, de berceaux plantés sur des échasses… Cela se balançait, passa et disparut.

… La caravane était partie…