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LE BAISER DE NARCISSE


mort d’Adonis, d’Adonis qui demeurait si beau malgré l’immobilité funèbre, que Phœbé arrêta sa course dans le ciel pour admirer le rival d’Éros. Puis sa voix qui pleurait redevint vibrante et fière, elle célébrait la résurrection d’entre les morts. À Milès cette voix avait dit : « Chante », elle avait dit : « Danse ». Elle s’adoucit pour lui dire : « Montre-toi ».

C’était la minute suprême. Celle où l’on est définitivement admis dans le temple, celle où l’on en est chassé. Car tout commence par la beauté, tout finit par la beauté.

Et l’on allait juger Milès.

Lui regarda sans honte les assistants. D’un geste enfantin et charmant, du bout de ses doigts rosis, il ôta une violette tombée sur son épaule, leva les yeux vers le ciel comme pour lui demander sa protection et le vêtement de sa lumière. Puis il dégrafa sa tunique dont l’étoffe soyeuse tomba à terre, palpitant autour de lui telle qu’un phalène. Et il demeura ainsi, dans une pose presque pareille à celle du dieu, tandis que les rayons d’or poudraient de lumière chaude la nacre ferme de sa chair. Prolongement fuselé de ses chevilles étroites, les jambes musclées, déliées au genou, supportaient comme deux colonnes d’albâtre le torse souple, le ventre plat et légèrement creux où s’affirmait la précoce virilité de Milès. La tête semblait une fleur plus belle épanouie sur le col de cette amphore humaine dont les anses étaient formées par les deux bras déjà robustes de l’adolescent. Devant cette splendeur et cette immobilité, personne n’élevait la voix comme devant un chef-d’œuvre. Milès avait chanté, dansé et il se montrait dans sa nudité glorieuse…

Cependant un jeune homme, qui n’avait cessé de le regarder avec des yeux étranges, et brillants de désirs, osa rompre