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LE BAISER DE NARCISSE


renversée comme une gerbe, accompagnait des vers d’Eschyle, d’une musique en dentelle… Le silence de nouveau plana, après que la dernière note eut vibré comme la chute d’une dernière goutte d’eau.

La lecture continuait. Lorsque le grand prêtre eut rappelé le sommeil d’Adonis, le secret baiser des nymphes et le geste par lequel le dieu vierge repoussa les nymphes, on dit à Milès :

« Danse ! »

Il prit les cymbales, les assujettit à ses paumes, attendit le prélude des harpes… Les juges, que le chant de Milès avait étonnés, escomptaient l’harmonie du geste, anxieusement. Pourquoi ne commençait-il point avec la mélodie ? Mais l’adolescent semblait concentrer dans sa mémoire les attitudes immobiles des statues. Puis, d’un coup bref, les cymbales cinglèrent, acides. Alors lentement d’abord, puis animé par l’entraînement lascif du rythme, Milès, ployant et renversant son buste, glissant avec ses pieds ailés, dansa et, chaque fois qu’il girait, jetait un mystérieux appel ; ses bras blancs, autour desquels voltigeait la fine tunique d’or, encadraient la tête merveilleuse où frémissaient des vertiges. Et parfois les petites fleurs semées sur les dalles, soulevées dans les tourbillons de la danse devenue dyonisiaque, avaient l’air de vouloir s’élever jusqu’aux lèvres de Milès.

Lorsque, frémissant, il s’arrêta, les adolescents qui le jugeaient et ceux qui le voyaient poussèrent les mêmes cris d’admiration. Seul le grand prêtre ne manifesta d’aucune parole sa joie ou son plaisir, car son devoir le liait au silence.

Quand le tumulte fut apaisé, il reprit la Lecture sacrée. Il magnifia alors toute la tristesse de la légende immortelle. Il décrivit l’abandon de Vénus et la colère de Zeus, l’agonie et la