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LE BAISER DE NARCISSE


s’arquaient des guirlandes de myrte, retenues çà et là par des chaînes d’argent.

Sur une hauteur que l’atmosphère bleutait, sur une hauteur du côté de la mer, et tournée vers elle comme une image propitiatrice, la statue de l’éphèbe divin, blanche, on eût dit sculptée dans la crête des vagues, luisait sur le ciel profond, au milieu du recueillement calme et de la sérénité. À peine une différence de teinte se distinguait-elle près des poignets, vers l’endroit où l’ivoire remplaçait le marbre jadis mutilé par les barbares. Car c’était après le siège et la capture d’Attalée qu’on avait dû réparer le sacrilège et mettre à la divinité des mains d’ivoire pour qu’elle soit encore plus douce dans ses caresses aux malheureux. Autour du temple, sur la colline, des aloès, des lauriers, des figuiers juteux enchevêtraient leurs feuillages et leurs épines, troués quelquefois par des cyprès obscurs, aux minces flammes immobiles.

Cependant les prêtres, qu’on avait prévenus de l’arrivée de Milès, vinrent le prendre aux portes de la ville, dans la tente sous laquelle l’enfant avait passé la nuit. Ils le virent, le trouvèrent beau, et le saluèrent. Eux étaient des adolescents d’une dix-huitaine d’années. — Ils semblèrent, pour Milès souriant, des frères aînés. Leur visage était aussi plein de grâce. Alors Milès dit adieu à Séir et sentit qu’il était loin désormais de ceux qui l’avaient aimé. L’esclave s’agenouilla pour embrasser les chevilles du petit maître qui s’en allait, et dans ses orbites blancs, sur ses prunelles obscures, on lisait le dévouement humble des bêtes. Puis les jeunes prêtres et Milès partirent. Ils traversèrent une partie de la ville. Sur leur passage, le peuple, reconnaissant les robes soufrées et les cannes d’ébène sacerdotales, s’inclinait en prononçant des paroles que Milès ne comprenait pas. Par instants, il