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LE BAISER DE NARCISSE


aiguillonnant les ânes et les bœufs. Enfin, après deux semaines, ils atteignirent la côte, et Milès, qui ne l’avait jamais vue, se souvint longtemps des bruits entendus, de ces bruits d’eau, de sable et de vent qui passe, de cette musique égale des vagues exténuées, qui revivent en étalant sur la grève leurs dentelles d’écume. Une odeur de sel, de poisson et d’algues, puis, subitement, l’infini d’une couleur aérienne : la mer !

Ils allèrent encore deux journées, longeant la côte, traversant des villages défendus par de grossiers murs de terre et où poussaient de misérables palmiers. Pauvres huttes de pêcheurs dont les barques, seule richesse, se dressaient sur le sable fin, hissées là, retenues par des poutres, avec leurs voiles et leurs filets à sécher. Dans le coin supérieur des voiles une image naïvement peinte s’étalait : Milès reconnut le trident de Poséidon. Et à chaque village l’enfant, impatient de se voir signaler le voisinage du temple d’Adonis-aux-mains-d’ivoire, demandait : « Est-ce là Attalée ? »

Enfin l’on arriva.

Ce fut le soir, à l’heure où dans le ciel verdi filtrent goutte à goutte les étoiles. On ne distinguait d’Attalée qu’une masse confuse ; de cette ville que tous célébraient pour ses richesses et pour son charme, il n’arrivait qu’un vague parfum et des rumeurs. Milès, déçu, interrogeait Séir. D’une main repoussant les boucles rebelles qui lui couvraient les yeux, de l’autre écartant à chaque minute les rideaux de toile du palanquin, il aurait tant voulu apercevoir des choses ! Mais voici que soudain, au ras de la colline jusque-là dissimulée, bondit au ciel une énorme lune rose. Et l’on eût dit, à voir cette lune rose, la sortie lumineuse d’un souterrain creusé dans la masse épaisse de la nuit, la sortie d’un souterrain conduisant à l’éternelle lumière…