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LE BAISER DE NARCISSE


et lui disait ses aventures. Car le maître avait voyagé dans tous les pays, en Phénicie, en Cappadoce, en Galilée, en Égypte au delà des cataractes, en Judée, en Grèce, et une fois était allé jusqu’à Rome, lors de son dernier départ, en l’an II du règne de César Auguste.

Et s’il avait rapporté de ses expéditions lointaines la fortune pesante du métal, son esprit gardait des souvenirs sans nombre qu’il déployait devant son fils comme des fresques rares.

Cependant Milès grandissait en taille et en beauté. La tête charmante de Lidda ressuscitait, animée, et paraissait jaillir du cou tiède et blanc comme d’une tige sublime. Lorsque Milès passait avec Séir par les voies dallées de Byblos et que la pierre plate résonnait sous le sabot de l’âne qui portait l’enfant, les marchands accroupis, les riches en litière, les légionnaires romains, les prophètes et les mendiants se détournaient pour voir cette radieuse apparition. Car c’était au temps où le monde adorait la Beauté, où le peuple absolvait Phryné pour la splendeur de ses formes, où l’Antinoüs allait naître pour le caprice d’un Empereur, et tous s’exclamaient : « Celui-ci sera aimé de Zeus ! » Et ils prêtaient aux dieux du ciel l’admiration des hommes de la terre…

Elul aurait voulu faire de son fils un marchand, un guerrier ou un athlète. Le marchand aurait conservé et fait fructifier les richesses endormies : il récoltait des fortunes. Le guerrier aurait dépouillé et rapporté en triomphant butin les merveilles étrangères : il récoltait des épées. L’athlète enfin, image active de la force humaine, aurait lutté pour la suprématie de sa vigueur : il récoltait le laurier noir. Milès, malgré tous les efforts, ne semblait pas s’enorgueillir de ces destins. Son corps aimable unissait l’harmonieuse jeunesse à la fragilité. Il était un chef-d’œuvre