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LE BAISER DE NARCISSE

portiques voilés de l’atrium. Parfois l’entrevoyait-on, grave, vêtu à la façon d’Égypte, les cheveux crépus et calamistrés, les oreilles plates, clouées d’émeraude ou d’électrum ; son profil évoquait Xercès…

Pendant les quatre années du premier âge, Milès, balbutiant et joueur, demeura dans le gynécée où Lidda, libre maintenant, commandait aux autres femmes d’Elul. L’enfant grandit là, aimé et caressé par tous, sauf par une autre affranchie, Kittim, la rivale de sa mère. Vers le printemps, un grenadier piquait au seuil de la maison ses fleurs sanglantes sur la neige des cerisiers. En été, Milès, tout nu, suivait à petits pas drôles et précipités les faucheurs qui s’en allaient couper les feuillages et les foins. En automne, aux vendanges, lorsqu’il eut trois années, le Père lui barbouilla la bouche avec du ferment, et pour la première fois sourit de la grimace du gamin.

Lorsque les quatre années furent révolues, Elul voulut élever son fils. Il le fit venir ; il le prit sur ses genoux pour le voir et l’embrasser. Et comme le petit, effrayé, criait, se débattait en révulsant des yeux magnifiques et des lèvres de glaïeul, l’homme l’avait apaisé, en lui chantant un air nomade, berceur et nostalgique, une de ces litanies de chameliers qui s’en vont vers l’Orient.

Alors, calmé, Milès avait rouvert ses paupières nacrées que les pleurs ourlaient d’un fil rouge. Ses poings mignons s’étaient détendus et les doigts frêles lissaient maintenant la belle barbe teinte d’Elul.

Au lointain, dans l’embrasement orgiaque du crépuscule, on entendait les hymnes de Mythra saluer le coucher du soleil.