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en conduisant le musicien au clavecin, un petit souvenir de Vienne.

Gluck comprit alors qu’il avait une revanche à prendre ; ses yeux s’animèrent de ce feu de génie qui le possédait si souvent ; il lança un regard sur le groupe des courtisans, puis laissa ses doigts courir sur l’instrument.

C’était d’abord quelque chose de vague et dont il était difficile de se rendre compte : on remarquait parmi ses accords heurtés cent mélodies sur le point de naître et interrompues tout d’un coup par une nouvelle idée. Peu à peu tout s’éclaircit, le visage de Gluck rayonnait d’un feu divin, il ne voyait plus où il était, il avait commencé devant la reine, il continuait comme chez lui, un mouvement de valse de ce rhythme vigoureux qui n’appartient qu’aux Allemands, se fit bientôt entendre. La reine avait peine à contenir deux larmes qui roulaient dans ses beaux yeux, car avant tout elle tenait à paraître française de cœur, elle savait qu’on l’avait surnommée l’Autrichienne, et elle aurait voulu oublier son pays. Elle aurait cependant pu pleurer en liberté : on ne l’aurait pas remarquée. L’attention des ducs, marquis et autres assistants était tout absorbée par ces accords sublimes, dont la pâle musique française, la seule qu’ils eussent entendue jusque là, ne leur avait jamais donné l’idée ; ils comprenaient un art pour la première fois.

Leur extase durait encore et Gluck ne jouait plus. De grosses gouttes de sueur coulaient sur son large