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l’immortel Gluck, que protégeait ta royale maîtresse, vint à la cour de son ancienne écolière, tu pourrais raconter les ricanements de cette troupe dorée d’inutiles de Versailles en voyant que la jeune reine honorait un simple musicien plus peut-être qu’un des leurs. Te rappelles-tu la première entrevue du grand homme et de la jeune reine ? lorsqu’on annonça M. le chevalier Gluck, la reine se précipita vers le compositeur en s’écriant :

— Ah ! c’est vous, c’est donc vous, mon cher maître !

Et le bon gros Allemand de sourire, et reconnaissant à peine l’élève qu’il avait quittée enfant :

— Oh ! Madame, dit-il avec son accent tudesque, que Votre Majesté est devenue grossière depuis que je l’ai vue ?

À la franchise de ce germanisme (la reine était effectivement engraissée), le flegme des courtisans ne put y tenir, l’étiquette fut un moment oubliée, on osa rire ; la reine partagea la gaîté générale ; mais bientôt voyant la confusion du pauvre compositeur, qui ne se doutait seulement pas qu’il eût dit une sottise, et qui cherchait partout qui pouvait faire naître ce fou rire.

— Messieurs, dit-elle avec cette grâce enchanteresse qui ne la quitta jamais, vous serez sans doute charmés de faire connaissance avec un de mes compatriotes, dont l’Allemagne s’honore à juste titre. Il parle très-mal français, il est vrai, mais il possède un langage bien autrement éloquent, et que l’on comprend dans tous les pays. Allons, mon bon maître, ajouta-t-elle