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SOUVENIRS D’UN MUSICIEN.

Grand et son Guillaume Tell, et Dalayrac sa Camille et son Montenero, que pour lutter avec l’Élisa et la Lodoiska de Chérubini, l’Euphrosyne et la Stratonice de Méhul, la Caverne de Lesueur, les Rigueurs du Cloître de Berton, et quelques ouvrages du même genre, d’auteurs moins célèbres.

Cette réaction vers la musique sévère et scientifique n’était guère favorable au pauvre jeune homme, ignorant presque les premières règles de l’harmonie et n’ayant pour lui que quelques idées heureuses, mais mal écrites et délayées dans une orchestration mesquine. Quinze ans plus tôt, son ouvrage eût été de mode à Paris, comme il l’avait été à Rouen ; mais alors les partitions ne faisaient pas leur tour de France aussi vite qu’à présent, et les troupes de province, qui exécutaient fort bien les ouvrages peu compliqués de musique de Grétry et de Monsigny, n’étaient guère en état de servir d’interprètes aux mâles accents de Méhul et de Chérubini.

Il fallait donc que le jeune Rouennais se fît une nouvelle éducation musicale. Mais où la prendre, où la trouver ? Le Conservatoire n’existait pas alors ; et d’ailleurs, avant tout, il fallait vivre. Boïeldieu se mit à user de la plus médiocre ressource que puisse employer un musicien : il se résigna à accorder des pianos ; et si, sur son mince salaire, il pouvait économiser une pièce de trente sous, il se hâtait de la porter au théâtre pour entendre ces chefs-d’œuvre qu’il devait égaler un jour, mais où il désespérait alors de pouvoir jamais atteindre.