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Dans sa critique, parfois fort juste, de l’opéra français, il est singulier que lui, poëte et musicien, n’ait pas découvert que le défaut de rhythme et de carrure qu’il reprochait, provenait bien moins des musiciens que des poètes. Instinctivement, il écrivit des vers fort réguliers pour les airs de son Devin du village, tandis que tous les auteurs de poëmes d’opéras semblaient prendre à tâche de les rendre impossibles à mettre en musique, par leur dissemblance de mesure et de coupe. Donnez au plus habile musicien des vers de Quinault, que, sur la foi de Voltaire, on proclame le lyrique par excellence ; et notre homme vous demandera à grands cris du Scribe ou du Saint-Georges. Il n’y a pas du reste bien longtemps que les poètes ont compris la coupe musicale des vers, et c’est un contemporain, M. Castil-Blaze, qui, le premier, leur a ouvert cette voie.

La Lettre sur la Musique française produisit une exaspération difficile à décrire : elle fut portée au comble, lorsque parut la spirituelle et amusante boutade intitulée : Lettre d’un symphoniste de l’Académie royale de Musique à ses camarades de l’orchestre. Les musiciens exécutants, attaqués si violemment dans leurs préjugés et leur incapacité, jurèrent la perte de Rousseau, et allèrent jusqu’à le brûler en effigie dans la cour de l’Opéra. Jean-Jacques prit la chose au sérieux, et alla dire partout que ses jours n’étaient pas en sûreté et qu’on voulait l’assassiner. Les directeurs prirent fait et cause pour leurs subordonnés ; ils retirèrent à Rousseau les entrées auxquelles il avait droit