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Si l’odieux et l’horrible n’avaient stigmatisé de traits ineffaçables l’époque sanglante de nos troubles révolutionnaires, le ridicule n’aurait-il pas suffi pour caractériser les temps où un tel homme fut presque déifié et où des fêtes nationales signalaient la translation triomphale de ses cendres au Panthéon ?

Le peu de sympathie que j’éprouve pour les ouvrages et surtout pour la personne de Jean-Jacques me conduirait trop loin, et j’ai besoin de me rappeler que je ne dois parler de lui que comme musicien.

Ce fut certes une chose rare au XVIIIe siècle, alors qu’il était bien généralement reconnu qu’un musicien ne pouvait être autre chose qu’une machine à musique, incapable d’avoir une idée en dehors de son art, alors que Voltaire, accueillant Grétry, lui disait : « Vous êtes musicien et homme d’esprit. Monsieur, la chose est rare. » Ce fut, dis-je, une anomalie phénoménale que celle qu’offrit l’exemple d’un homme éminent dans les lettres et dans la philosophie, ne se contentant pas de se dire musicien, mais exerçant en outre presque tous les degrés de cette profession, sauf la qualité d’instrumentiste qui lui manquait, et se montrant tour à tour copiste, écrivain didactique, critique, théoricien et compositeur.

Le plus curieux est que celui qui tenta d’embrasser toutes les branches de l’art musical, en connaissait à peine les premiers éléments, ne put jamais parvenir à solfier proprement un air, ne comprenait rien à la vue d’une partition, et était moins embarrassé pour en écrire une que pour lire celle d’un autre.