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gros, il y avait trop longtemps que sa douleur était renfermée, aussi fit-elle explosion chez la vieille demoiselle qui ne se doutait de rien, et qui fut bien surprise en apprenant les dérèglements de M. Rameau. Elle consola du mieux qu’elle put la jeune femme, mais ses consolations n’avaient rien de bien rassurant ; elle ne pouvait expliquer cette inconduite que de trois manières : ou M. Rameau était joueur, ou il buvait, ou bien il avait des maîtresses. Or, ses fréquentes sorties lui faisaient bien penser qu’il avait au moins une maîtresse, sa danse et sa gaîté ne laissaient aucun doute sur l’abus du vin qu’il faisait, et la disparition des 600 livres était bien la preuve qu’il était dominé par la funeste passion du jeu : il lui était donc clairement démontré que l’unique cause des désordres de M. Rameau était le vin, le jeu et les femmes. La pauvre Louise remonta chez elle un peu plus désespérée qu’auparavant ; elle retrouva son mari dans le même costume et se livrant à la même occupation ; seulement au lieu d’un passe-pied, c’était une gavotte qu’il jouait sur son violon.

Cependant le 1er mai, le jour de la Saint-Philippe approchait ; il était d’usage que quelques amis se réunissent ce jour-là chez Rameau ; Mme Rameau fit donc ses invitations comme à l’ordinaire. On dînait alors à une heure et demie. À une heure, Rameau, sorti depuis le matin, n’était pas encore rentré. La pauvre Louise tremblait que son mari ne restât toute la journée dehors, et sa figure trahissait toute son inquiétude, quand Mlle de Lombard rompit le silence :