meau fut vaincu par Daquin qui ne le valait cependant pas. Rameau ne put supporter cet affront de sang-froid, et il parut s’être opéré une révolution en lui. Il prit alors un genre de vie tout différent de celui qu’il avait mené jusque-là. Tout d’un coup il abandonna ses leçons, se mit à aller à l’Opéra tous les jours de spectacle, rentrant fort avant dans la nuit, l’air continuellement préoccupé. Quand il s’enfermait dans son cabinet, ce n’était plus pour faire des calculs de chiffres comme autrefois. On l’entendait, à travers la porte, chanter, jouer du violon, danser, tantôt rire aux éclats, tantôt donner de grands coups contre les meubles, puis se dépiter, et on le voyait alors, lui si méthodique auparavant, sortir de chez lui quelquefois sans épée, la perruque de travers, et le chapeau sur le coin de l’oreille. Les voisins s’aperçurent bientôt de ce changement : les caquets et les commérages allèrent leur train, et la pauvre Mme Rameau ne fut pas la dernière à gémir du dérangement de son mari. Il ne lui parlait presque plus, ne l’emmenait plus à l’église, et dînait et soupait presque tous les jours dehors.
Le jour de Pâques vint. À dix heures, Rameau était encore dans son cabinet (il s’était levé à cinq). Madame Rameau venait d’aller entendre une basse messe à une chapelle de la rue Saint-Honoré ; quel ne fut pas son étonnement en rentrant de s’apercevoir que son mari n’était pas encore sorti pour aller à son orgue. Elle se précipite dans son cabinet, et le trouve en robe de chambre, son bonnet de coton sur le haut de la tête ; en pantoufles, un bas sur les talons, et dansant