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rondelette passaient devant sa porte ; le salut était scrupuleusement rendu, mais pas un mot n’était échangé pour cela, et le marchand cirier ne pouvait jamais s’empêcher de dire :

— Ce sont de bien honnêtes gens, mais il est tout de même un peu fier, ce grand sécot.

Une seule personne des habitants de la maison avait ses entrées libres chez nos deux époux. C’était une vieille demoiselle de soixante ans, vivant aussi fort retirée ; mais comme elle avait environ trois mille livres de rente, et que cette petite fortune (et c’en était une il y a cent ans), lui donnait dans son esprit une grande supériorité sur les autres locataires, elle s’était hasardée à faire une démarche auprès du couple qui demeurait au-dessus d’elle. Voici en quelle circonstance. La vieille demoiselle, qui se nommait Mlle de Lombard, avait dans son salon une épinette, dont elle touchait passablement, et sur laquelle elle s’occupait souvent à répéter les symphonies de Lully, et tous les airs de son jeune temps. À son retour d’un petit voyage à sa campagne, elle se sentit un jour en goût de musique, et fut fort désagréablement surprise en trouvant son épinette tellement fausse et démontée qu’il était impossible de s’en servir. La patience n’était pas la vertu de notre vieille musicienne, elle voulut qu’on lui accordât tout de suite son instrument, et ayant entendu dire qu’il y avait un musicien dans la maison, elle envoya sa servante lui chercher ce monsieur pour remettre son épinette en état. Sa servante vint bientôt lui dire que la seule réponse qu’on lui eût faite était,