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tournait vers le souffleur, et il apercevait dans le trou une horrible tête de Gorgone, qui lui lançait de toutes ses forces le mot Longino. Ce mot magique, il le répétait involontairement, et soudain tout le public répétait en chœur ;

— Bravo, Longino ! bravo, Longino !

Il essayait en vain d’articuler d’autres paroles, ce mot seul pouvait sortir de sa poitrine : et chaque fois qu’il le prononçait, c’était avec une nouvelle énergie, et le public reprenait avec rage :

— Bravo, Longino ! bravo, Longino !

Puis il apercevait des êtres fantastiques voltigeant autour de lui, sur le théâtre et dans la salle, affectant les formes les plus grotesques et les plus incohérentes ; il croyait parfois reconnaître quelqu’un de sa connaissance parmi les fantômes ; il s’approchait, et voyait alors distinctement quelque figure de sociétaire de Feydeau, qui lui disait : Il faut prendre l’habitude du théâtre, et chanter dans les chœurs pendant 35 ans, après quoi on vous confiera de petits rôles, et le chœur infernal reprenait d’une voix formidable :

— Bravo, Longino !

Il voulait se sauver du théâtre ; les mêmes cris le poursuivaient ; il allait sur le port, il voyait un bâtiment près de mettre à la voile, il s’y embarquait et y trouvait pour passagers tous ses anciens camarades des chœurs de l’Opéra qui l’accueillaient avec de grandes démonstrations de joie un fêtant son retour parmi eux, et pour mieux célébrer sa bienvenue, ils lui proposaient de lui chanter un nouveau morceau composé