n’avait eu soin d’accompagner chacune de ses questions d’un mon papa, qui ne laissait aucun doute sur leur lien de parenté. Notre jeune homme venait au Havre pour tenir l’emploi des Martin, si important dans le répertoire d’opéra comique. C’était la première ville de France où il allait jouer. Récemment échappé des chœurs de l’Opéra, des Bouffes et de Feydeau, il avait été essayer sa jolie voix à La Haye d’abord, puis dans quelques villes de la Suisse, où il avait obtenu de grands succès ; mais ses triomphes, dans les petites localités, ne le rassuraient pas sur le sort qui lui était réservé dans une ville plus considérable, au Havre surtout où le public passe pour être presque aussi exigeant que celui de Rouen, où, au dire des artistes, on trouve le parterre le moins facile à contenter de toute la province.
Aussi n’était-ce pas sans émotion qu’il arrivait dans cette ville, où son avenir allait se décider peut-être pour toujours ; mais à vingt-trois ans, les rêves de l’imagination, sont toujours riants : pourquoi n’en est-il plus de même dix ans plus tard ? Et puis, il était artiste dans l’âme, et la conscience de son talent le soutenait : il se rappelait l’effet qu’il avait produit dans quelques-uns de ses rôles, le plaisir que sa belle voix avait fait éprouver à ses auditeurs, et c’était moins le public qu’il craignait que ses nouveaux camarades qui lui étaient tout à fait inconnus, et dont il redoutait les cabales et les prétentions. Son physique était fort agréable : il avait une figure charmante, était droit, bien fait, mais d’une taille un peu trop