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— J’entrai, répondit Petit-Pierre, au service d’un seigneur anglais qui retournait dans son pays, je n’étais qu’un marmiton, qu’un galopin, comme on nous appelait en France ; mais en Angleterre, je passai pour un très-bon cuisinier. Je suivis mon maître partout, même en Italie, à Florence, où il vient de mourir, en me laissant 800 livres de pension. J’entendais souvent parler de M. de Lully, et j’osais à peine croire que ce fût mon pauvre Baptiste. Aussi ce n’est qu’en tremblant que je t’ai écrit hier, et je n’ai osé signer ; j’avais peur que tu ne voulusses pas me recevoir.

— Oh ! tu m’avais mal jugé, tu es et tu seras toujours mon ami. Mais j’y pense, tu reviens d’Italie, tu dois avoir entendu de la musique dans ce pays. Je veux te faire juge de la mienne, et tu pourras te vanter d’avoir été traité comme jamais prince ne l’a été. Je ferai jouer mon Armide pour toi, pour toi seul ; nous l’écouterons ensemble et tu me diras ce que tu en penses. Mais à ton tour, je veux que tu me donnes un plat de ton métier.

— Avec grand plaisir, reprit Petit-Pierre, car j’ai du talent à présent, je suis bon cuisinier, et je possède à fond la cuisine française et italienne.

— L’italienne aussi, s’écria Lully ; ah ! mon ami, viens que je t’embrasse. Pas un de ces damnés empoisonneurs de Paris n’est en état de faire un macaroni qui ait le sens commun.

— Sois tranquille, répondit Petit-Pierre, tu auras des macaroni, des ravioli, de la polenta, tout ce que tu voudras.