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plus rares. La fameuse le Rochois, qui remplissait le rôle d’Armide, était petite de taille, avait la peau noire et la figure assez commune. Elle paraissait dans le premier acte entre les deux plus belles actrices, et de la plus riche taille qu’on eût encore vues sur le théâtre, les demoiselles Moreau et Desmâtins, qui lui servaient de confidentes. Mais dès le moment où la demoiselle le Rochois ouvrit les bras et leva la tête d’un air majestueux en chantant :

Je ne triomphe pas du plus vaillant de tous,
L’indomptable Renaud échappe à mon courroux ;

Ses deux confidentes furent éclipsées ; on ne vit plus qu’elle sur le théâtre qu’elle paraissait remplir ; elle fut sublime dans tout son rôle.

Au moment où elle s’anime pour poignarder Renaud, on vit tout le monde saisi de frayeur, demeurer immobile, l’âme tout entière dans les oreilles et dans les yeux, jusqu’à ce que l’air de violon, qui finit la scène, donnât permission de respirer. Alors les spectateurs, reprenant haleine avec un bourdonnement de joie et d’admiration, se sentirent transportés unanimement, mais pas un applaudissement ne se fit entendre, personne n’osa donner le signal, et l’opéra finit de la manière la plus froide en apparence qu’on puisse imaginer.

Lully était désolé. « Me serais-je trompé ? pensait-il. Mon génie serait il éteint ? Ne saurais-je plus communiquer mes sensations au public par le secours de ma musique ? Non, cependant : je sens quelque chose en