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Votre Majesté, et MM. les secrétaires ne voudront plus me recevoir, à présent que je suis monté sur un théâtre.

— Ils ne voudront pas vous recevoir, reprit le roi, ce sera bien de l’honneur pour eux. Allez de ma part voir M. le chancelier ; je vous l’ordonne aujourd’hui, et de plus je vous fais 1,200 fr. de pension.

La belle chose qu’une monarchie absolue ! 1,200 livres de pension pour avoir sauté dans un clavecin ! Si les pensions s’obtenaient au même prix aujourd’hui, toutes les manufactures d’Érard et de Pleyel n’y suffiraient pas.

Dès le lendemain Lully courut chez le chancelier Le Tellier, qui le reçut fort mal. Le musicien alla porter ses plaintes à M. de Louvois, qui reprocha à Lully sa témérité, lui disant qu’elle ne convenait pas à un homme comme lui, qui n’avait d’autre mérite et d’autre recommandation que de faire rire.

— Eh ! tête-bleu ! vous en feriez autant si vous pouviez, repartit Lully.

Le roi, ayant appris toutes ces difficultés, exigea qu’on reçût le Florentin, et alors tous les obstacles s’aplanirent devant lui. Le jour de sa réception, il donna un magnifique repas aux anciens de la compagnie, et le soir les régala de l’opéra, où l’on représentait le Triomphe de l’Amour. Ils étaient là trente ou quarante qui avaient les meilleures places, et ce n’était pas un spectacle peu curieux de voir deux ou trois rangs d’hommes graves en manteaux noirs et en grands chapeaux aux premiers bancs de l’amphi-