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plus grand effet. D’où vient donc qu’avec un tel succès au dehors, nous ayons si peu de compositeurs chez nous ? C’est que les débouchés manquent, c’est qu’un jeune homme, lassé de frapper pendant des années à la porte de notre unique Théâtre-Lyrique (l’Opéra est et doit être réservé aux sommités), trouve qu’il est inutile de continuer plus longtemps à mourir de faim, et se met à donner des leçons, à courir le cachet ; existence modeste, laborieuse, qui mène rarement à la fortune, mais à l’aisance. Il aurait été artiste, quelquefois homme de génie peut-être ; ce sera tout uniment un musicien : il s’enfouira dans un orchestre, il aidera à l’exécution des chefs-d’œuvre des autres ; pendant un an ou deux, il gémira de n’avoir pu parvenir, il quêtera un poème qu’on ne lui donnera pas ; et puis, petit à petit, il se fera à sa nouvelle existence ; il se mariera, il aura des enfants, et ce sera, en somme totale, un excellent citoyen payant son terme et ses impositions le plus exactement qu’il pourra, bon père, bon époux, et montant régulièrement sa garde, ou soufflant dans une clarinette ou un basson tous les douze jours, pour la défense de la patrie.

Quelle différence n’y a-t-il pas de ce portrait à celui d’un musicien d’orchestre du siècle dernier ? Voyez les musiciens de l’Opéra, tremblant au fatal démanché, n’abordant l’ut qu’avec la plus extrême circonspection, et profitant du privilège qu’ils avaient de jouer avec des gants en hiver, et ne sortant du théâtre que pour aller au cabaret ; car alors les musiciens se grisaient par grâce d’état, et peut-être seulement par cela qu’ils