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tâche de me boucher assez les oreilles pour me figurer que je suis sourd, quand il passe dans la rue quelque chanteur ou quelque instrumentiste maudit. Je suis devenu misanthrope ; j’ai rompu avec le genre humain depuis mon lever jusqu’à sept heures du soir.

Je sors alors, et je m’achemine vers l’Opéra ou l’Opéra-Comique, et je me sature jusqu’à mon coucher de vraie musique qui n’ait aucune analogie avec la musique d’amateurs. J’ai soin de me placer dans quelque coin bien obscur, pour être isolé le plus possible ; car les amateurs vous poursuivent partout, et il y en a qui ont l’habitude de battre la mesure (presque toujours à contre-temps) ou de chantonner avec les acteurs : ces gens-là me crispent les nerfs et me font d’un plaisir un supplice.

Je me suis brouillé avec toutes mes connaissances qui avaient des familles musiciennes, et je n’ai conservé de relations qu’avec un huissier retiré, entièrement étranger aux beaux-arts, du moins à ce que je croyais. Mais le traître vient de rompre le dernier lien qui me rattachait à l’humanité, il s’est fait amateur, et cela sans savoir une note de musique, et qui pis est, il m’a entraîné dans un horrible repaire où l’on râcle, où l’on souffle, où l’on écorche les oreilles et les musiciens de la façon la plus atroce, le tout pour cent sous par mois. Écoutez le récit de mon malheur :

Il n’y a pas tout à fait quinze jours, que mon vieil huissier m’invita à venir partager son dîner. C’était