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est, comme Legouvé, l’ami le plus sûr et le plus prompt à donner la preuve de son amitié.

Ceci dit, Henri Martin et Legouvé n’ont plus rien de semblable. Le premier, d’aspect fruste et négligé, gauche, dégingandé, taillé à la serpe, n’a de séduisant que sa simplicité, sa bonhomie, la confiance qu’il force par sa physionomie d’homme sincère.

Legouvé, élégant, les traits fins, de manières parfaites, est l’expression complète de ce qu’on appellera, plus tard, une sélection. Les démocraties ont besoin de mûrir et elles ne produiront leurs aristocraties qu’avec le temps. Les moralités sont le fruit qu’il faut le plus cultiver. Tout homme qui sort d’un milieu inférieur pour entrer dans un milieu supérieur ne peut être affiné, au fond, du jour au lendemain, alors même qu’il paraîtrait l’être dans la forme. Il peut saisir le ton, il n’a pas assimilé l’aisance. Plusieurs générations d’hommes distingués ont contribué à former Legouvé.

Jean Reynaud aimait à répéter : « Si les bourgeois français étaient tous comme Legouvé, plus que bien élevés, pondérés, libéraux, généreux, vaillants, ils auraient vraiment recueilli l’héritage qu’ils ont arraché à la noblesse française et que la Révolution a rendu légal. Legouvé, ajoutait Jean Reynaud, est supérieur moralement à tous ceux que je connais, même à Charton. C’est un génie moral transcendant. »