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ments d’une misère parlante, quoique les haillons en soient discrets ; ses cheveux sont embroussaillés par les couchers dans les taudis, sa main s’affaisse et tremble sur un bâton qui, par sa forme, par son usure, dit la marche sans but d’un homme qui chemine. Tout cela deviné, senti, inspire à la fois la pitié et la répulsion.

Frédérick Lemaître n’a plus de dents, il parle à peine, mais quelles expressions a sa physionomie, quels gestes, et combien vous angoisse tout ce que son jeu révèle de douleur dans l’avilissement.

On disait Frédérick Lemaître fini. Un pareil artiste ne l’est jamais.

J’ai vu Rachel aux Français dans toute sa beauté tragique, à son avant-dernière représentation, le 23 juillet. Elle partait quelques jours après pour l’Amérique et jouait Andromaque.

La fille d’Éetion, l’épouse d’Hector, m’est apparue faisant revivre à la fois la princesse troyenne de mon vieil Homère, celle d’Euripide, de Racine, de tous ceux qui ont chanté la malheureuse mère d’Astyanax, l’esclave légitimée de Pyrrhus et d’Hélénus. Jamais la vertu, la douleur, la révolte, dominées par la conscience de la fatalité et ressenties par un cœur moderne n’ont été vécues comme par Rachel. Jamais la femme antique n’a été enveloppée de plus nobles plis, jamais Française ne s’est plus élégamment drapée. Le charme et l’art de Rachel étaient de personnifier la Grèce et en même