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M. de Montalembert est venu hier, le comte d’Haussonville ce matin. Une union libérale s’ébaucherait-elle, où n’y a-t-il là qu’une camaraderie du Courrier du Dimanche ?

Je demande à Ronchaud de m’attendre et je prie Pelletan de me conduire auprès de Blanqui. Je lui offrirai tout d’abord Mon Village, le plus démocratique de mes livres. J’ai quelque émotion ; Blanqui m’apparaît comme un martyr de la foi républicaine, mais un martyr qui n’hésite pas à rendre coup pour coup à l’ennemi. Vais-je voir un homme aigri se répandant en malédictions ou l’hypocrite qui a joué avec un art infernal le rôle de persécuté pour mieux trahir et les idées qu’il prétendait défendre et les hommes, ses frères, qui s’étaient confiés à lui ?

J’entre dans la chambre de Blanqui, large pièce froide avec une fenêtre haute et grillée. Blanqui est couché. Au pied du lit sont ses sabots. Il fixe sur moi des yeux brûlants de fièvre, d’un noir intense, dont je supporte mal l’éclat. Son visage maigre, sa physionomie douloureuse, m’angoissent, car je n’ai jamais vu l’expression du désenchantement, de la souffrance, à ce point gravée sur une figure.

Sous sa longue barbe blanche on devine les plis amers de sa bouche. L’isolement, les captivités de Fontevrault, du Mont- Saint-Michel, de Doullens, sont écrits sur ce front blême si rarement caressé par la lumière du soleil.