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de Grammont, à une heure du matin, je trouve Musset assis sur le pas de la porte d’une maison borgne. Il se lamentait.

« — Qu’est-ce que tu fais là ? lui demandai-je en essayant de le relever.

« — Elles m’ont chassé, elle m’ont chassé ! répète-t-il avec un larmoiement d’ivrogne.

« — Toujours les filles, malheureux, lui dis-je en le traînant jusqu’au boulevard, où je hèle un fiacre.

« — Je veux souper, j ’ai faim, j ’ai soif, crie-t-il à peine entré dans le fiacre. Et il hurle de telle façon que je le descends à la porte d’un restaurant où l’on soupe.

« — Je ne te donne à souper et à boire, lui dis-je en le traînant dans un cabinet particulier, que si tu me parles de Venise.

« — Je te dirai tout, donne-moi à boire ! »

« Pendant qu’il boit, je l’interpelle brusquement, durement :

« C’est une blague, George ne t’a jamais aimé ! À Venise elle t’a lâché tout de suite.

« — Je te dis qu’elle m’a aimé, s’écrie-t-il la voix éraillée, » et j’avais honte qu’il me parlât de Mme  Sand en un tel état, « mais, ajoute-t-il, c’est sa tête qui aimait ma tête, tu comprends. » Et il riait, hébété.

« — Elle t’a aimé aussi avec son cœur, malheureux.

« — Avec sa tête, avec son cœur, ce n’est pas ça ! la griserie, elle ne voulait pas me la donner,