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s’exaltait, il atteignait la plus parfaite et la plus magistrale des interprétations.

Mais il fallait le voir écouter Wagner. Toutes ses facultés semblaient tendues. On eût dit qu’il entendait pour la première fois le morceau composé par le « maître », qu’il s’était choisi entre tous.

Après le Prélude de Lohengrin, que Wagner venait de jouer avec une puissance orchestrale vraiment extraordinaire, Hans de Bulow s’approcha de Mme d’Agoult et lui dit :

« Jamais rien de pareil n’a été écrit. L’inspiration dans Lohengrin est à la fois claire et extatique, saisissable et d’une suavité immatérielle. Et que d’art dépensé, aussi bien dans les ensembles que dans les parties ! L’arrivée des chevaliers au premier acte est la plus belle page musicale qui ait jamais été donnée à l’admiration des hommes. »

Wagner entendit la dernière phrase. Il sourit d’un étrange sourire. Sa tête énorme ne manquait pas de caractère, au moins dans le haut ; il avait le front large, élevé, la lumière y affluait ; les yeux étaient interrogateurs, tour à tour très doux et très durs ; mais sa bouche vilaine repoussait les joues et, dans un mouvement sarcastique, ramenait un menton autoritaire vers un nez orgueilleux. La singulière figure, et au demeurant antipathique dans la proportion où la physionomie de Hans de Bulow était attrayante.