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antique déchirée, suppliante, sans révolte contre Zeus. La puissance harmonique de Gluck me donne au deuxième acte d’Orphée une impression de réalité, une angoisse, une admiration d’une telle intensité que je ne respire plus.

Lorsque Orphée chante : « J’ai perdu mon Eurydice, » que la salle tout entière crie : « Bis, » et que Mme Viardot répète, plus douloureuse encore : « J’ai perdu… » moi, qui n’ai jamais eu de vapeurs, je m’évanouis.

Lorsque je reprends connaissance, mon poignet est dans la main de Ménard.

« En voilà une émotion, me dit-il, vous m’avez fait peur, votre pouls ne battait plus ! »

Je n’ai, depuis Orphée, éprouvé qu’une seule fois en ma vie une sensation pareille. C’était à Pétersbourg. J’entendais chanter par plusieurs centaines de chantres de la Cour une messe de Palestrina, sans accompagnement d’aucun instrument, mais le nombre des voix donnant les résonnances sonores et grandissantes d’un orchestre. Mon extase, je ne puis trouver d’autre mot, alla jusqu’à me faire perdre connaissance. Je causai une véritable frayeur aux amis qui m’entouraient. Nous étions au plus vingt auditeurs. Lorsque je revins à moi, j’entendis, avec ce joli accent dont la langue moscovite pénètre la française :

« Pour un succès, c’est un succès, l’admiration à mort ! »

Berlioz et Saint-Victor, accoudés au rebord