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parfaite qu’elle semblait n’avoir rien perdu de sa féminité ; elle disait volontiers : « J’ai atteint l’âge d’homme. » De taille haute et de suprême élégance, jamais manières de grande dame ne furent plus accomplies. Lorsqu’elle se disait démocrate, et elle l’était, on ne pouvait dissimuler un sourire, tant ce mot, dans sa bouche, paraissait, sinon une anomalie, du moins un contraste. Démarche, lignes du visage, port de tête sous sa couronne de cheveux blancs légèrement voilés de chantilly noir, geste, quel qu’il fût, étaient chez Mme  d’Agoult aristocratiques.

La dignité dominait en elle, même dans ses rares moments d’expansion, et allait parfois jusqu’à la majesté. On s’étonnait de ne lui voir trahir jamais ce caractère passionnel qui avait amené dans sa vie l’orage si violent dont tant d’éclairs se retrouvent dans sa confession de Nélida.

Elle souffrait de toute infraction aux usages du savoir-vivre et de la mauvaise éducation, trop fréquente chez les démocrates ; mais elle aussi avait un défaut : celui d’avoir perdu, en dehors de son milieu, la notion exacte, la mesure des situations acquises par le talent et leur proportionnalité mondaine. Ainsi, à notre grand scandale à tous, car nous avions, nous aussi, à cette époque, nos préjugés d’aristocratie politique et philosophique, Mme  d’Agoult fit un jour dîner Pasdeloup, le chef d’orchestre à la mode, avec Littré, Carnot et Grévy.