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LE SERPENT NOIR

parements de velours, « afin de se pavaner, sans doute, dans une toile de Watteau », supposa, derrière nous, madame Hélène. Le vent rebroussait les grandes dentelles qui cachaient les mains des filles arrivant d’Hennebont. Il secouait les fausses brides empesées et flottantes des coiffes qui sertissaient le chignon des Belliloises. Il bousculait les guipures raides cousues aux hennins de Beg-Meil. Il froissait les tabliers zinzolins, gorge de pigeon, bleu céleste, vert éteint, qui diapraient les robes noires plissées sur les vertugadins des grosses tailles. Il emportait les velours triples attachés aux chapeaux ronds des hommes, ou les rejetait contre les épaules, sur les encolures, sur les vingt boutons d’argent, orgueil des gilets. Il s’engouffrait dans les amples manches des femmes, dénudait, jusqu’au coude, leurs bras hâlés par les saisons. Il crispait les rides sur les visages tannés des pêcheurs. Il tourmentait la peluche des chaperons neufs. Il collait mieux aux longues jambes des garçons leurs étroits pantalons rayés. Il ébranlait les vastes collerettes plissées de Concarneau. Il poussait l’averse oblique sur les diadèmes en soie rose qu’arborent les coquettes de Pont-Aven.

Riche en anecdotes historiques et religieuses, ma conductrice s’ingéniait à faire paraître sous des couleurs curieuses tout ce peuple d’Armor qui nous coudoyait dans la place, parmi les marchandes de cierges, et celles qui exaltaient, en glapissant, les vertus des médailles et des chromolithographies bénites. Le prestige de mon élégance agissait parfaitement sur cette aimable provinciale, au corps et aux vêtements étriqués. Que, superbe et princier, possesseur d’une automobile coûteuse, je fusse respectueusement