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LE SERPENT NOIR

il nous énumérait franchement ses affaires et les soins qu’il leur devait. Samedi, la famille de son neveu, l’orphelin, se réunissait afin de choisir entre les divers modes d’éducation convenables. Non sans louer les excellents principes des Pères Jésuites, il préférait que le jeune garçon reçût l’instruction du Lycée. Car il avait là-dessus des théories essentielles. Il s’abstint de remarquer nos mouvements d’impatience, et développa surabondamment ses idées relatives à la méthode anglaise des exercices physiques, des leçons pratiques, à la méthode française des doctrines classiques, des philosophies transcendantes. Durant que nous assurions nos chapeaux sur nos chefs et nos paletots sur nos poitrines, il fut éloquent, jovial, avisé, fertile en opinions diverses et rares, mises en saillie par une verve de commis-voyageur anglomane. Dehors, il nous accompagna, empruntant les allures d’un qui pût se dire notre ami. En vain gardions-nous l’aspect sévère et bougon. Il évita de s’en inspirer, bien qu’il le constatât. Même il finit par obtenir que le vieillard excédé de son verbiage se résolût au rendez-vous du vendredi. Guichardot crut, naïvement miner notre défiance et nous convaincre de sa bonne foi qui avait hâte de resplendir. Nous nous réfugiâmes à grand’peine dans nos coupés. Un peu plus, il me demandait de le conduire au boulevard. Paraître dans ma voiture lorsque beaucoup de ces messieurs devisaient encore le long de la rue, c’eût été presque les avertir que sa vertu ne semblait pas soupçonnable, et qu’il subirait indemne notre examen. Je déjouai cette tactique. Proclamant que j’étais en retard, j’indiquai une adresse lointaine à mon cocher. Je m’introduisis vite dans le véhicule et refermai sur moi la portière avec une brusquerie que l’agent général jugea bon de