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mangent, et qui boivent, et qui rient, et qui rament, et qui nagent, et qui dansent. Lui, correctement mesure ses ébats, avale ses pilules, de très petites pilules d’argent dans un mignon flacon de verre bleu, colporte des sels anglais.

Sans fioritures, sans pose de triton souffleur de conque, il barbotte dans la mer en deçà des perches indicatrices. Deux valses, le soir, avec elle ; un quadrille pour sauver les apparences avec maman ou une amie de maman. Hosanna la famille ! Environ trente mille livres de rente, fils unique. Autant après la mort du père si vieux déjà. Dans trois ans au plus tard les cierges funéraires et le défilé pompeux des carrosses noirs. Alors, Paris, le Faubourg, les premières et le turf.

L’attendre. L’attendre. Par la digue dès neuf heures, lui sur son cheval isabelle, aux fines jambes recercelées, bête de verre filé à peine sortie de l’ouate des boîtes, fauve et d’or comme les aiguillettes d’état-major à l’épaule du cavalier. Et derrière, haussant ses pupilles épaisses de gazelle, caracole l’inévitable soldat maure qui, au désert, par des exploits de paladin, sut reprendre Jean de Vardilly aux mains mortelles des Touaregs. Une familiarité, une affection grande lie le capitaine au soldat. Ils se murmurent des paroles étranges de langue arabe ; et le musulman parfois en costume natal, drapé d’amples manteaux blancs, de voiles, surgit inattendu. Plus on n’aperçoit que lèvres incarnadines décloses sur le lis des dents et les immenses pupilles à cils lourds. Alors Eva : « Tiens la Madone noire ». D’un sourire, d’un geste long, l’homme caresse l’air en souffletant des mots…

Telles attitudes de cet être la déroutent comme chose