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Soudain, les bras étendus, le poursuivant hurla un mot ; un mot terrible et sans doute sacramentel, car le poursuivi volta net. De rage il lança dans la mer sa cravache, puis galopa sans plus ajouter vers les musiques balnéaires.

Eva ramenait fébrilement le linon de son fichu sur sa gorge inéclose et palpitante.

Les cavaliers grandirent. Des galons brillèrent à la manche du plus proche. Aux grilles blanches du Casino, l’officier sauta de selle, laissant à quiconque le soin de rejoindre sa bête, fière d’esquisser des danses plastiques et circulaires, en toute initiative. L’autre, un soldat, parvint à saisir les brides du coursier rebelle et prit le chemin d’une taverne qui brillait entre les dunes.

Le drame fini, les personnages disparus dans la coulisse, la mer se fâcha tout à fait. Elle gonfla, cracha injurieusement à la face placide de la lune ; qui, contre l’outrage, se drapa dans le velours violâtre des nues orageuses. Les dunes noircirent, les paysages sombrèrent, les falots du Sémaphore conquirent une tout autre importance devant cet uniforme obscur que striaient les écumes livides des flots. Arrachée, au second éclair, d’une méditation spécieuse, Eva s’étonne du sinistre décor inopinément surgi. Sa pudeur prend courroux de ne point avoir aperçu le changement des fonds, l’éclipse des lumières et le fracas de l’ouverture ; car l’image de l’officier idéalement éperonnée, svelte et vigoureuse l’avait tenue toute, cherchant à s’orienter dans les saharas de l’avenir pour y découvrir l’oasis et la tente de leur mutuel bonheur éternel.

Alors le ciel goutta. Des écus d’eau s’abattirent sur les ferrures du belvédère. Tout fraîchit.