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conclu aux mois de miel où l’époux s’amendait. En ce subit Josaphat de leur mémoire renaissent minimes souvenirs, sourires équivoques, moues réprimées, gestes ennuyés d’autrefois. Sinistres lémures révélateurs, ils apparaissent en foule hideuse et muette, à leur Jugement, irrévocable parmi les cataclysmes des illusions, l’effondrement de Rêves.

Et le samovar se mit à bouillir en tempête : Maman réveillée émit une exclamation d’effroi.

Eux se séparèrent. Elle sonna. Ibrahim survint, et dit à son maître des choses arabes en disposant les porcelaines sur la table. Eva perçut qu’il était question d’elle en cette hermétique conversation. Les paroles se précipitaient, se croisaient, s’enchevêtraient. Une discussion semblait poindre et les pupilles épaisses du Maure la désignaient par d’expressives mimiques. Jean, devenu livide, semblait plutôt se défendre et offrir des prières.

L’impatientante mère ne remarquait rien et, de toutes forces, elle insistait pour contraindre sa fille à lui résoudre des coupes de robe.

L’âme toute meurtrie de cet aparté, Eva feignant la plus dédaigneuse indifférence, s’appliquait à satisfaire le caprice maternel, soupesait la soie et les garnitures de son costume. Soudain, au prétexte de faire paraître la splendeur des étoffes, elle se leva, se cambra devant la glace. À travers les feuilles du palmier elle vit les hommes en attitude méchante et verbeuse, pâles et mâles pour un combat. — Mais le mot, le mot sacramentel entendu du belvédère, la nuit de leur première rencontre, elle l’entendit encore par la bouche maléfique d’Ibrahim. Encore le capitaine fut contraint de taire sa fureur ; il frappa furieusement sur la table…